Frédéric Dard a dit : "Ce sont toujours les cons qui l'emportent, question de surnombre." Est-ce que ce ne serait pas la morale tragique du film ?
Virginie Efira : Alors, ça me fait penser à Tocqueville, sur la tyrannie de la majorité. Un peu, effectivement. Regardez le sondage sur la peine de mort qu'on a fait dernièrement. Le vrai débat philosophique et politique c'est : comment on va dans le sens du peuple tout en essayant d'élever les valeurs ? Mais dans le film, les cons sont tout en haut, c'est une critique du pouvoir. Mais heureusement, il y a des renversements possibles.
Si sortir du rang, c'est jouer au con, oui. Ça donne plus de chance de changer le cours de sa destinée. Pour que les choses évoluent, ça a souvent à voir avec le risque et la transgression. Des tabous, la violence même, malheureusement, parfois. En tout cas il faut prendre des risques et c'est ce que Suze, JB et M. Blin vont faire dans le film.
Dans le cinéma de Dupontel, il y a du Ken Loach et du Tex Avery. Il y a un mélange de grandes croyances, de romantisme... Ce n'est pas un jeu très naturaliste. Et en même temps il faut être dans la vérité de l'émotion en permanence.
Brassens a chanté : "Le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est con, on est con." Vous aussi vous pensez qu'il y a une fatalité de la connerie ?
Non, parce qu'il y a des conneries qui sont liées à la peur, au besoin de reconnaissance. J'espère que dans la vie il y a la possibilité de changer. Peut-être que Brassens a raison, mais je n'ai pas envie de le croire. D'ailleurs j'ai des preuves du contraire. Heureusement, bordel !
On peut savoir quelles sont vos preuves tangibles ?
Je pense à des gens mais je ne peux pas les citer. Ils ne seraient pas très enchantés de savoir que je les trouvais cons au début de notre relation. Mais ça me concerne aussi. Je suis moins conne et ignare sur certains points. Et sur d'autres aspects, j'ai dû faire la trajectoire inverse, devenir plus conne qu'avant. Je ne pense pas que l'identité soit immuable. Dire "je suis comme ça", c'est idiot. Et surtout, être assis sur ses certitudes, c'est le pire.
Vous avez plus de tendresse pour les jeunes cons de la dernière averse ou pour les vieux cons des neiges d'antan ?
Bizarrement pour les jeunes. Le manque de confiance, la trouille d'être au monde font qu'on se donne des postures. Le vieux con, lui, il a eu sa chance d'apprendre, il a raté la sagesse. Après, il y a des bougons magnifiques ou des râleurs curieux. Quand j'étais dans les loges du JT de TF1 il y a quelques jours, j'ai vu une émission où il y avait Depardieu. Il est de mauvaise humeur, il ne dit pas que des vérités mais on l'aime bien. Avec lui, on ne peut pas s'en empêcher. Mais sinon, je pardonne plus les jeunes cons. D'ailleurs, dans le film, Suze essaye de rendre son fils un peu moins con, lui qui est renfermé sur lui-même. J'ai beaucoup d'affection et de compréhension pour un garçon ou une fille qui a dû mal à exprimer ses sentiments. Je comprends ça très bien, parce que, de nouveau, c'est un risque. Il faut d'abord réussir à s'aimer un peu soi pour se dire qu'on peut être aimé par l'autre. Ça prend du temps. Mais en tout cas, elle l'encourage en prendre le risque de l'altérité. Parce qu'on ne perd pas au final. Quand je prenais des râteaux, je me disais : "C'est celui qui aime qui a raison".
Maintenant que j'ai atteint un grand âge tu veux dire ?
Je rigole. Je ne suis pas sûr de mieux les détecter. Je pense qu'avant, je les voyais aussi mais j'avais plus peur de le leur dire. Il y avait plus de soumission. Maintenant mois, je soumets les autres à ma propre connerie. Pour l'instant, j'ai l'impression que j'arrive encore à m'extraire de moi et à me rendre compte quand je suis conne, mais probablement qu'un jour je deviendrai aveugle.
Pas évident comme question...
Ça c'est bien ! Le pantacourt aussi je pense.

Oui, mais par contre je ne suis pas d'accord avec Desproges sur les vêtements. Est-ce que ça veut dire que tous les enfants sont cons ? Osons cette belle phrase... C'est bien d'avoir le courage de se distinguer mais ça demande une certaine éducation aussi. Donc je ne vais pas tirer sur ceux qui veulent être à la mode ou qui veulent passer inaperçus. On ne peut pas exiger de chacun un désir d'être fantasque. Par contre, il faut quand même préserver son espace de pensée. Par exemple, avec les réseaux sociaux, on se dit qu'on va avoir accès à plein de pensées différentes et on en arrive à une polarisation, avec des clans. Il faut être pour ou contre, et ça ça rend drôlement con. C'est une certitude absolue. Et ça crée aussi la tendance à se faire des avis basés sur les deux-trois mêmes articles qu'on a vu passer sur nos téléphones. C'est formaté.
La minuterie de l'iPhone qui décomptait notre temps tombe à 0. On nous invite à sortir.
Voilà, je crois qu'on n'a plus rien à se dire. Il faut savoir s'avouer les choses...
Adieu Virginiiiiiiiiie.
++ Adieu les cons de Albert Dupontel avec Virginie Efira sort aujourd'hui au cinéma et on vous rembourse le ticket si ça ne vous donne pas envie de vivre aussi intensément que Jean-Claude Van Damme. Ah non, attendez, on me dit dans l'oreillette que c'est mort, si vous êtes décédé à l'intérieur, c'est votre problème.