Ton premier album, Youth Novels, a été très bien reçu par la presse, as-tu ressenti une pression pour ce nouvel album ?
Lykke Li : Je nai pas ressenti de pressions de la part des médias ou de la maison de disques, mais plus de ma part. Rien à voir avec le succès du premier album, cétait juste mon envie de faire quelque chose de bien qui était importante.
Cet album est plus agressif dans les paroles, plus brut ? Y a-t-il une raison à cela ?
Lykke Li : Oh, je suis passée par des moments très difficiles ces dernières années, jen ai bavé pendant quelque temps. Cest un disque sur lapprentissage, le fait de grandir, de gérer ce changement de cap. Jai fait pas mal de conneries pendant ces quatre ans où jai tourné non stop. Tu nas pas de maison, tu nas pas de cocon donc tu te retrouves à faire nimporte quoi, à finir à 5 heures du matin dans des endroits improbables Et tu es toujours seule... Cétait pas facile. Donc non, cétait pas un choix délibéré dêtre agressive, ça sest fait naturellement, en écho avec ce que jai vécu. Jai grandi, cet album est le reflet de mes expériences.
Cest donc le fameux album de la maturité ?
Lykke Li : Je ne sais pas, cest difficile à dire pour moi, je nai pas encore la distance nécessaire pour pouvoir lanalyser, il est encore trop proche de moi.
Ton single Get Some traite du woman power .
Lykke Li : Oui, il y a encore un long chemin à parcourir avant datteindre le statut que lon devrait avoir. La société compare toujours les femmes entre elles, créant ainsi de la compétition entre nous. On croit aussi que les femmes ne sont bonnes quà être des femmes. Les gens seraient surpris de savoir que cest moi qui écris mes morceaux Jen ai marre dêtre jugée et critiquée quand je décide un jour de ne pas mettre de pantalon ! Quon puisse croire que je joue avec le sexe pour vendre des disques me rend malade. Cest très frustrant dêtre une femme aujourdhui, je trouve. Je veux me sentir libre, je veux me sentir comme un homme.
A lépoque de ton premier album tu tétais plainte du fait que les gens te jugeaient trop sur ton look, tu penses que ça appartient au passé ?
Lykke Li : Je pense que ça va encore arriver. Cest la réalité daujourdhui, les femmes sont jugées de façon beaucoup plus sévère que les hommes. Cest tragique.
Il y a tout de même des exceptions. Par exemple PJ Harvey qui sest faite acceptée, à juste titre, grâce à sa musique et même lorsquelle shabillait super sexy à un moment donné, les gens ne semblaient pas y prêter attention
Lykke Li : Je sais, jy pensais lautre fois dailleurs. Elle a beaucoup de chance, jaimerais être à sa place, je ny suis pas et je ne pense pas que jy serai un jour. Mais tu sais même Debbie Harry, à lépoque elle montrait sa chatte à tout va et tout le monde trouvait ça rocknroll. Aujourdhui ce nest plus acceptable. La société daujourdhui est hyper sexualisée, quand tu es une femme de nos jours, peu importe ce que tu fais les gens y verront une connotation sexuelle.
Quelles sont les femmes qui tont inspirée ?
Lykke Li : Jai énormément de respect pour Patti Smith, pour Nina Simone, pour Gena Rowlands. De manière générale jadmire les gens qui ne font pas passer leur vanité et leur image avant leur message.

Tu trouves que les gens ne te traitent pas à ta juste valeur ?
Lykke Li : Je ne me laisse pas faire, mais disons quil y beaucoup de frustration.
Pourquoi as-tu choisi daller à Los Angeles pour enregistrer cet album ?
Lykke Li : Parce que je me gèle en Suède, je voulais de la chaleur et du soleil.
Tu as aimé la ville ?
Lykke Li : Cest une ville très étrange, tu es entourée par des millions de gens mais tu es si seule. Moi je vivais dans une maison reculée, dans le désert. Je faisais du vélo, je fumais des joints, je faisais la cuisine, je nétais pas vraiment impliquée dans la scène de L.A.
Quelles étaient tes inspirations pour cet album ?
Lykke Li : Je nai pas essayé de reproduire la formule de quiconque. Jy ai juste mis tout ce que javais sur le cur, jai écrit ce que jai vécu et jai suivi mon instinct. Los Angeles ma aussi beaucoup inspiré, jai beaucoup aimé le fait dêtre seule là-bas, ça te force à te bouger le cul, personne ne te vient en aide ou fait les choses à ta place.
Tu vis toujours en Suède le reste du temps ?
Lykke Li : Je ne sais pas vraiment à vrai dire, jaimerais aller à New York pendant quelque temps.
Ton producteur est Bjorn du groupe Peter, Bjorn et John. Es-tu proche dautres artistes suédois comme The Knife ou Robyn ?
Lykke Li : Jai refait appel à Bjorn qui avait déjà travaillé sur mon premier album car sa façon de travailler me correspond totalement, on se comprend de façon instinctive et cest très agréable. Peut-être que dans le futur je ferai appel à quelquun dautre, mais à lheure actuelle cette collaboration me satisfait totalement. Sinon, je dis bonjour aux Knife quand je les vois mais ça sarrête là, je ne les connais pas plus que ça malheureusement. Mais jadore ce quils font. Dune manière générale jaime assez les artistes suédois, je trouve quils ne font pas de compromis, ils ont une très grande intégrité et ça me plait.
Un lien très fort entre ton premier album et celui-ci est la forte présence de percussions qui semblent inhérentes à ta musique
Lykke Li : Cest assez dur danalyser sa propre musique, ce ne sont pas des choix conscients, ça vient sans doute de mon amour pour lAfrobeat et la musique Ethiopienne en général. Jadore le hip hop aussi, Biggie, Nas, NWA, Tupac, peut être que je retranscris ces beats à ma manière.
Quas tu cherché à accomplir avec cet album ?
Lykke Li : Jai voulu faire quelque chose dintemporel mais qui soit en même temps relié à notre époque. Je voudrais que les gens puissent lidentifier à notre période, à 2010. Je voulais faire un album réconfortant quon puisse écouter quand on ne se sent pas bien, ou alors quand on rentre le soir chez soi dans sa voiture.
Quas tu écouté pendant lenregistrement de lalbum ?
Lykke Li : Beaucoup de Doo Wop, les Shangri Las, le Velvet underground, Nico, du Gospel, des sons très variés.
Quels sont les groupes ou chanteurs/ses actuels que tu écoutes ?
Lykke Li : Jécoute Pj Harvey, Beach House, Fever Ray, des nanas cool.
Que penses tu de la pop culture daujourdhui, tu ty retrouves ?
Lykke Li : Je trouve souvent linspiration en regardant des vieux films. Je suis une fan incontestée dAntonioni, de Cassavetes et de Godard, donc tout ce qui est nouveau et actuel ne mattire pas vraiment .Jai limpression que rien ne pourra égaler le savoir faire et lamour de lart quon peut retrouver dans ces films là. Je suis en train de lire la biographie de Patti Smith, Just Kids, et putain quest-ce que jaurais voulu vivre à cette période là ! Je rêverais de vivre dans un loft New-yorkais, entourée dartistes, et ne pas avoir à dépendre de quiconque, ne pas avoir de comptes à rendre et ne pas être scotchée à ce putain dinternet ! A lépoque, tu pouvais avoir le temps de lire un livre, de faire ton art et de ne laisser personne sen mêler. Jaimerais pouvoir être dans mon monde, dans ma bulle et prendre mon temps pour pouvoir créer.
Tu sens que tu nes pas née à la bonne époque ?
Lykke Li : Exactement.
Effectivement les 70s à New York ça fait rêver, mais par exemple les femmes à cette époque navaient pas les droits quelles ont aujourdhui. Ce que tu dis nest pas un peu contradictoire ?
Lykke Li : Oui, je sais. Je ne vais pas cracher dans la soupe non plus, jai de la chance dêtre une femme artiste à cette époque- ci, cest beaucoup plus simple aujourdhui cest vrai.
Lykke Li : Oui je déteste ça, Twitter, Facebook, ça me dépasse mais malheureusement il faut sy mettre .
(Une ampoule pète, Lykke Li sursaute, elle a lair clairement paniqué)
Oh mon dieu ! Je me demande si ce nest pas un esprit
Hahaha
Lykke Li : Non, mais moi jy crois vraiment à ce genre de choses. Cest un signe.
(Lykke li est paralysée et fixe la lampe)
Tu as peur ?
Lykke Li : Oui. Je sens que cest un signe.
En rapport avec quoi ? Qui estce ?
Lykke Li : Ce nest pas forcément quelquun. Cest plus un signe qui me dit de suivre mon instinct et de réaliser mon fantasme absolu, vivre selon mon rythme et mon idéal de vie. Je veux quitter cette industrie du disque en laquelle je ne me reconnais absolument pas. Je veux être dans ma bulle.
Tu sens que ce que tu fais te demande de gros efforts ?
Lykke Li : Oui, et ça me laisse moins de temps pour créer. Je ferais bien sûr quelques concerts, mais dans lidéal jaimerais avoir un rythme de vie plus posé, comme lorsque je suis en studio. Je rentre le soir, je me fais à manger, je regarde un film, je vais me coucher, je naspire quà ça !
Tu napprécies pas les tournées ?
Lykke Li : Je veux être dans un endroit calme. Jai été partout, jai presque passé ma vie dans les aéroports, je trouve quil est désormais plus excitant pour moi dêtre à la maison.
Mais cest quand même excitant de voyager dans le monde entier, surtout à ton âge, non ?
Lykke Li : Bien sûr que ça lest, jai eu loccasion de voir des endroits dont je naurais jamais soupçonné lexistence. Je me souviens de mon voyage en Australie cétait magique, javais fêté le nouvel an en Tasmanie et ça cest vraiment cool.
Dans lidéal où serais-tu basée ?
Lykke Li : Dans un endroit très très chaud ! Sur une île dans les Caraïbes jimagine.
Sarah Dahan // Photos: DR.