A lépoque de sa gloire, dans les années 90, LilKim était fascinante. On parlait de sa réappropriation de la parole sexuelle, du miroir déformant tendu aux hommes et de la façon dont le rap suivait le modèle des films noirs. Ils avaient leurs femmes fatales au cur de glace et aux cigarettes mentholées ? Le rap répondait avec ses homologues féminins du mâle alpha, refaites de la tête au pied, qui se vantaient de leur head game (leur dons pour les pipes, si vous préférez) comme du plus beau des trophées.
Dès Get Money, son premier duo avec Biggie, LilKim avait de quoi faire rougir. Enfoncées SaltNPepa et leurs timides déclarations dintention. Lets Talk About Sex ? Kimberley Jones répondait « for sure ». Ode à l « oral sex » dans How Many Licks, folklore sado-maso dans le clip de Notorious, LilKim était capable de vanter lhumidité de son vagin et la souplesse de sa nuque (Would You Die For Me) ou de faire un morceau ayant pour refrain « Give me that good brown ass dick ».
Mais la Queen Bitch possédait également une certaine dignité derrière ses outrances sexuelles. Tout au long de sa carrière, la rappeuse a rendu hommage à son mentor et amant Notorious BIG, allant jusquà le créditer comme producteur exécutif de tous ses albums, même après sa mort. On lui doit aussi quelques duos posthumes avec Biggie très réussis, à limage de ce All Good qui fonctionne si bien parce quon imagine le rappeur, toujours vivant, continuer à faire exactement la même chose : booster la petite meuf du quartier quil a prise sous son aile et qui la rendu sacrément fier.
LilKim & Biggie
Et il y a de quoi : de Hardcore (1996) à The Naked Truth (2005), la domination de LilKim a été incontestable : toutes les autres filles ont suivi le mouvement, plus ou moins garçons manqués (Foxy Brown ou Da Brat), plus ou moins vulgaires et sudistes (Trina, Shawnna, Khia, Jacki-O), plus ou moins affiliées au crew dun rappeur obèse (Remy Martin). A côté, des rappeuses qui somme toute ne jouaient pas trop sur leur féminité (Miss Jade, produite par Timbaland ; Rah Digga, proche de Busta Rhymes ou Jean Grae, fantasme des backpackers) étaient remisées à la périphérie du mainstream. Malgré une sérieuse compétition (Missy Elliot, Eve), Lil Kim était partout, même dans la bouche de ses rivales. Quand on demandait à Rémi Ma, membre du crew de Fat Joe, ce quelle voulait faire dans la vie, sa réponse (« Je veux glander, me faire bouffer la chatte et faire du shopping ») sonnait comme la philosophie de vie dune petite fille ayant grandi en écoutant les albums de Kim. Mieux, quand, en 2005, LilKim est partie en taule pour une histoire de parjure liée à une fusillade, toutes ses collègues ont tenté de limiter : Foxy Brown a fait quelques allers-retours en prison et Remy Ma (décidément meilleure élève de la « LilKim School ») a pris 7 ans pour une tentative dhomicide liée à un vol de sac à main.
Mais en 2010, plus personne ne se souvient de tout ça. Depuis sa sortie de prison, la carrière de LilKim est en chute libre. Elle na pas sorti dalbums depuis cinq ans, elle doit des brouettes de dollars au Fisc américain et quand on parle delle, cest juste pour se moquer de sa dernière opération de chirurgie esthétique. Cest dans ce contexte - un rap féminin dévasté, ne laissant le monologue de lexercice quà des hipsteuses pas antipathiques mais sans réelle emprise sur lépicentre du rap US (Kid Sister, Rye Rye, Amanda Blank
) - quintervient Nicki Minaj.
A première vue, celle-ci chasse ouvertement sur les terres de LilKim : elle sort du crew Young Money de LilWayne, calqué sur la Junior Mafia de Biggie , elle aussi porte des perruques colorées et elle a repris certaines photos cultes de LilKim pour des séances photos. Mais ce qui doit gêner le plus LilKim cest que Nicki Minaj joue la carte de la respectabilité. Elle a beau multiplier les allusions sexuelles dans ses morceaux, elle reste assez ambiguë pour paraître respectable aux yeux de ses jeunes fans : « Oui jévoque les vibromasseurs dans cette phrase de mon couplet mais cest juste une allusion ! Mes « Barbies » ne sont pas toutes en âge de comprendre alors je ne préfère pas développer. Mes fans maiment parce que je fais des grimaces et parce que je porte des perruques rigolotes. Cest ce que je veux continuer à leur donner. Dailleurs, je ne me considère pas comme une rappeuse. Je suis une entertaineuse ». Et pour rendre LilKim encore plus jalouse, Nicki Minaj, elle, a trouvé quelquun qui veut bien lépouser (la nouvelle star du rap Drake) alors que Kim (qui a construit sa carrière sur limage de la fille qui couche avec des mecs blindés pour se faire offrir des sacs à main), a passé toute sa carrière à passer dune figure masculine forte à une autre. Elle a dabord été proche de Biggie, puis de Puffy, mais aussi du producteur Scott Storch avant dêtre un temps copine avec Marc Jacobs.
Alors, pendant que Nicki Minaj annonce son premier album solo très attendu, Pink Friday, et que LilKim se recycle dans des projets foireux (un film sur sa vie, du sponsoring pour une marque de vodka), on préfère oublier leur embrouille pas très digne. Et garder un autre souvenir delle : son dernier album, le très bon The Naked Truth de 2005. Le disque, entamé dans lapparat, le mascara et la célébration du mauvais goût se finit sur une ultime profession de foi, le morceau Last Day. Dans ce titre, Kim imagine quelle arrive en prison purger sa peine de 366 jours pour parjure. Elle dépose ses faux cils, ses faux ongles et ses extensions à lentrée et il ne reste alors quune fille qui rappe. Et plutôt bien, dailleurs. Fière delle et de ses erreurs, LilKim fait du namedropping jusquau fin fond de sa cellule : elle simagine morte, pleurée par tous et paisible dans son cercueil siglé Versace. Pourtant, malgré sa mention dun improbable rendez-vous daffaires avec Bill Gates, Kim doit bien sentir que sa carrière ne sen relèvera pas. Bien sûr, elle ne se doute pas quelle tombera aussi bas. Mais elle flippe, cest évident. Alors, lespace dune minute, vu que Notorious Big nest plus là pour la rassurer et lempêcher de faire trop de conneries, on a envie de lui mentir, de la regarder dans les yeux et de lui dire : « Keep your head up, Kimberley. Its gonna be ALL GOOD ».
Yacine BADDAY // Photos: DR.